La rame du métro était bondée. Les passagers, pressés contre les vitres, les uns contre les autres, oscillaient doucement au rythme des courbes et des virages du train. Élise, une jeune femme aux cheveux châtains ondulés, se tenait près de la porte, son manteau bleu contrastant avec le gris métallique de son environnement. Son sac à main pendait à son épaule, et elle s’agrippait fermement à une barre pour rester stable.
Tout à coup, son téléphone, logé dans la poche de son jean, vibra. Elle le sortit délicatement, se faufilant entre les bras et les sacs des autres voyageurs. L’écran affichait une notification inattendue : « Airdrop : Inconnu vous a envoyé une photo ». Elle se souvint alors des conversations qu’elle avait eues avec ses amis sur cette nouvelle mode parmi les jeunes : utiliser Airdrop pour flirter de manière anonyme, spécialement dans des lieux publics comme le métro. Certains trouvaient cela amusant, d’autres intrusif. Élise, elle, n’avait jamais pensé être la cible d’une telle approche.
Curieuse et un brin amusée, elle accepta la demande. Sur son écran s'afficha une image : un bouquet luxuriant de roses rouges, agrémenté d'une légende rédigée de manière élégante : « Pour la jolie demoiselle au manteau bleu ». Le cœur d’Élise battait plus fort. Qui était cet admirateur secret ?
Elle leva lentement les yeux, balayant le wagon de son regard, espérant peut-être détecter un visage souriant ou un clin d’œil complice. Mais tous les passagers semblaient plongés dans leurs propres mondes, certains écoutant de la musique, d’autres lisant ou simplement rêvassant. Personne ne semblait l’avoir remarquée, ou du moins, personne ne montrait qu’il venait de lui envoyer ce mystérieux message.
Le train freina doucement, arrivant à la prochaine station. Alors que les portes s’ouvraient, Élise se demandait : devait-elle répondre ? Et surtout, qui pouvait bien s’intéresser à elle de cette manière si audacieuse et moderne ?
Le métro continuait son chemin, chaque station apportant un nouvel afflux de passagers. Élise tenait toujours fermement la barre, son téléphone à la main, songeant à sa réponse. Son pouce glissa sur l’écran et elle tapa doucement : « Qui êtes-vous ? ». Elle attendit avec impatience, son cœur battant un peu plus fort.
Presque immédiatement, une autre notification Airdrop apparut. Cette fois-ci, c’était une photo d’une silhouette d’homme, prise de dos. Il portait un manteau foncé et un chapeau noir qui cachait ses cheveux. Bien que la photo soit de bonne qualité, aucun détail distinctif ne permettait d’identifier l’expéditeur. La légende, écrite avec le même style d’écriture élégant que la précédente, disait simplement : « Devine ».
Élise sentit un frisson parcourir son échine. Qui était cet inconnu ? Pourquoi ce jeu de cache-cache numérique ? Cependant, une partie d'elle était captivée par cette forme contemporaine de flirt. Elle avait entendu parler de personnes qui avaient rencontré leur âme sœur de manières tout aussi inhabituelles. Peut-être était-ce un signe ? Peut-être qu’au milieu de ce wagon bondé, quelqu’un l’avait vraiment remarquée et voulait simplement faire connaissance de manière originale.
Souriant à l’idée, elle décida de répondre à ce mystérieux admirateur. Après tout, il ne pouvait pas y avoir de mal à jouer le jeu, non ? Elle ouvrit sa sélection d’émoticônes et choisit un visage avec un regard interrogateur. Elle appuya sur « Envoyer » et attendit.
La rame du métro entra dans un tunnel, plongeant les passagers dans l’obscurité pendant un court instant. L’écran du téléphone d’Élise brillait dans la pénombre. Elle espérait une réponse, tout en se demandant qui, parmi ces étrangers pressés autour d’elle, était son mystérieux flirt.
Les stations défilaient, les passagers montaient et descendaient, mais Élise était de plus en plus absorbée par son échange avec l’inconnu. À chaque notification, un frisson de curiosité la parcourait. L’échange était devenu un jeu de piste passionnant. Une photo d'une affiche dans le wagon qu’elle reconnaissait, accompagnée d’une question : « Devines où je suis ? ». Puis une autre d’un banc solitaire, capturée à la station précédente, avec la légende : « C’est ici que nous nous sommes croisés la première fois, te souviens-tu ? ». Élise essayait de reconstituer les pièces du puzzle, de se rappeler si elle avait déjà vu cet homme auparavant.
Le jeu était palpitant, jusqu’à ce qu’elle reçoive une nouvelle notification qui la fit sursauter. C’était une photo prise de très près. Ses chaussures, des ballerines bleues qu’elle avait mises ce matin, étaient clairement visibles. La légende, cette fois, était simplement : « Regarde où tu mets les pieds ».
Élise se sentit soudainement glacée. Ses mains se crispèrent sur son téléphone, ses yeux balayèrent rapidement le wagon. Les autres passagers semblaient tous absorbés par leurs téléphones, leurs journaux, leurs pensées. Mais qui, parmi eux, l’observait de si près ?
Sa respiration s’accéléra, elle se sentait prise au piège, sachant que ses moindres mouvements étaient sous surveillance. Elle se demanda si ce jeu, initialement si innocent, n'était pas en train de devenir nettement plus inquiétant.
Elle devait agir, et vite. Mais comment échapper à quelqu’un qui semblait toujours avoir un coup d’avance ?
***
Le bruit distinctif de l'ouverture des portes du métro résonna dans la rame. Élise observa les passagers se diriger vers la sortie. Certains engageaient la conversation, tandis que d'autres, casque audio vissé sur les oreilles, se perdaient dans leurs playlists.
Elle les enviait pour cette normalité, car en ce moment, sa réalité à elle était tout sauf ordinaire.
Le wagon se vida rapidement, ne laissant qu’une poignée de personnes. L’atmosphère changea, devenant presque oppressante. Le silence fut à nouveau rompu par la sonnerie familière de son téléphone. Elle sursauta.
Un nouveau message Airdrop.
Hésitante, elle ouvrit la notification. La photo affichée se révélait d'une clarté surprenante, dévoilant distinctement le nom de la station où elle devait descendre comme à son habitude. Mais ce qui glaça Élise, c’était la légende qui accompagnait l’image : « On se rejoint ici ! »
Elle sentit son cœur s’emballer. Qui était cette personne ? Que voulait-elle ? Élise jeta un coup d’œil autour d’elle. Elle analysa chaque visage, cherchant un indice, une familiarité, mais rien. Chaque passager semblait aussi ordinaire que le suivant.
La tentation de suivre cette invitation était grande, mue par une curiosité malsaine. Était-ce un admirateur secret ? Un jeu innocent ? Mais une voix dans sa tête lui criait de se méfier.
Le métro reprit sa course, la lumière stroboscopique des tunnels créant des ombres mouvantes à travers la rame. Chaque station était une possibilité d’évasion, une échappatoire.
Alors que le wagon ralentissait pour la prochaine station, Élise prit une profonde inspiration. Continuerait-elle ce jeu dangereux ou prendrait-elle la décision de sortir et de mettre fin à cette étrange série d’événements ? Elle sentit l’adrénaline monter, sa main serrant fermement la lanière de son sac.
La décision devait être prise maintenant.
***
Le froid de la station enveloppa Élise à mesure qu’elle mettait un pied hors du wagon. La voûte en pierre, usée par le temps, réverbérait le murmure lointain des conversations et les pas précipités des voyageurs. L’éclairage tamisé donnait à la station une ambiance presque cinématographique. Les ombres se dessinaient, faisant danser les silhouettes sur les murs.
L’odeur caractéristique du métro, un mélange de fer, de goudron et de l’humidité ambiante, lui chatouilla les narines. Chaque seconde de son aventure imprévue était ponctuée par l'écho de ses pas. Élise essaya de rester calme, de garder une certaine contenance. Mais à chaque instant, elle se demandait si elle n’était pas en train de commettre une grave erreur.
Elle avait à peine fait quelques pas en direction de l’escalator lorsqu’elle sentit la vibration familière dans sa poche. Son estomac se serra. Elle prit son téléphone et le déverrouilla.
L'image à l'écran montrait l’escalier mécanique qu'elle s'apprêtait à emprunter, révélant le métal luisant des marches en mouvement. Mais ce qui attira son attention, c’était la légende. « Presque là ».
Elle releva la tête, son regard se posant sur l’escalator devant elle. Élise se sentit comme prise dans un piège, mais elle ne pouvait s’empêcher de vouloir découvrir la fin de cette histoire. Qui était cette personne ? Que voulait-elle lui montrer ?
Déterminée, elle s’approcha de l’escalator et posa un pied dessus. La machine l’emporta lentement vers le haut, chaque seconde semblant durer une éternité. Sa respiration s’accélérait, son cœur battait la chamade.
Lorsqu’elle arriva en haut, elle scruta rapidement les environs, cherchant une quelconque indication, une silhouette familière, l’homme au chapeau noir. Mais rien. Juste le lointain sifflement d’un train en partance.
Pourtant, elle savait qu’il était là, quelque part, à l’observer.
Le couloir de la station, d’habitude si fréquenté, semblait déserté. Les quelques rares voyageurs passaient en hâte, indifférents, les yeux rivés sur leurs écrans. La fraîcheur de l’air souterrain caressait la peau d’Élise, qui pouvait presque voir son souffle se matérialiser devant elle. Les bruits lointains des discussions et des pas s’évanouissaient, comme si le temps s’était suspendu.
Soudain, une sensation froide enveloppa son épaule. Elle fit un bond en avant, le cœur battant à tout rompre. En se retournant, elle tomba nez à nez avec un homme au visage fin, encadré par des lunettes rondes, et coiffé d’un chapeau noir. Ses yeux pétillaient d’une lueur malicieuse. Sa bouche se tordait en un sourire presque enfantin, comme s’il venait de jouer un tour.
« Content de te voir, Élise », murmura-t-il d’une voix douce, presque chantante.
Élise, prise au dépourvu, ne put masquer sa surprise. Comment cet homme connaissait-il son nom ? Elle n’avait jamais croisé son regard auparavant, du moins c’est ce qu’elle croyait. Une vague de panique l’envahit. Son instinct lui hurlait de fuir, de s’éloigner le plus possible de cet étranger.
Elle fit quelques pas en arrière, cherchant une issue, une sortie. Sa voix tremblante trahissait son anxiété. « Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ? »
L’homme éclata de rire, un rire cristallin qui résonnait dans le silence de la station. « Toutes ces questions, Élise! Tu ne te rappelles donc pas de moi ? »
Élise fronça les sourcils, tentant de sonder sa mémoire. Mais rien, pas la moindre étincelle de reconnaissance. Sa confusion ne fit qu’augmenter sa peur. Elle sentait que cet homme, bien que charmant en apparence, cachait quelque chose.
Il s’avança vers elle, les bras écartés comme pour la rassurer. « Ne t’inquiète pas. Tout va s’éclaircir. Suis-moi. »
Mais Élise n’était pas prête à lui accorder sa confiance. Elle devait trouver un moyen de s’échapper, et vite.
Les néons lumineux du couloir de la station reflétaient sur l’écran du téléphone que l’homme tenait devant Élise. La photo affichée était celle d’une journée ensoleillée, prise dans un parc. Élise et Sophie, sa meilleure amie, étaient assises sur un banc, riant aux éclats. Le cliché, empreint de bonheur et de complicité, contrastait fortement avec la tension du moment présent.
« Tu ne te souviens pas de moi ? » demanda l’homme, un léger sourire en coin. « Je suis Mathieu, le petit frère de Sophie. »
Élise plissa les yeux, parcourant sa mémoire. En effet, le souvenir d’une fête chez Sophie lui revint, où elle avait aperçu un homme en retrait, observant les convives depuis l’ombre d’un recoin. C’était lui.
« Ah ! Oui, je me souviens maintenant, » dit Élise en poussant un soupir de soulagement. « Je suis désolée, je ne t’avais pas reconnu. Et puis, avec ces messages Airdrop… Je ne savais pas à quoi m’attendre. »
Mathieu hocha la tête, comprenant son inquiétude. « J’avoue que c’était une manière plutôt étrange d’attirer ton attention. Sophie m’avait parlé de toi, et je voulais te rencontrer. Je ne pensais pas que ça te ferait aussi peur. »
Élise, toujours un peu secouée par l’aventure, rit nerveusement. « Disons que c’était… original. Un peu trop, peut-être. »
« Je m’excuse, » dit Mathieu, son regard empli de sincérité. « Viens, je t’offre un café pour me faire pardonner. »
Ils se dirigèrent vers la sortie, bavardant de choses et d’autres. Le poids de l’anxiété semblait s’être dissipé, laissant place à une légère complicité.
Mais alors qu’ils quittaient la station, le téléphone d’Élise vibra. Elle le sortit de sa poche et ouvrit le nouveau message Airdrop reçu : « Je te surveille ».
Le sang d’Élise se glaça. Elle leva les yeux, cherchant Mathieu. Mais l’homme au chapeau noir avait disparu, ne laissant derrière lui qu’un écho de mystère.
***
Alors que la nuit tombait, Élise poussa la porte de son appartement, son sac à main serré contre elle. Elle alluma toutes les lumières, jetant des regards furtifs par les fenêtres. Tout semblait calme. Peut-être que tout cela n’était qu’un mauvais rêve, pensa-t-elle.
Élise prit son téléphone et composa le numéro de Sophie. Après deux tonalités, sa voix familière répondit à l’autre bout du fil.
« Salut, Sophie, c’est Élise. Est-ce que Matthieu est avec toi ? T’aurait-il dit où il allait aujourd’hui ? »
Un silence s’installa à l’autre bout, puis Sophie demanda, visiblement surprise : « Matthieu ? Qui est Matthieu ? »
Élise sentit son estomac se nouer.
« Matthieu… ton petit frère… »
Sophie répondit, sa voix empreinte d’une étrange perplexité : « Élise, je n’ai pas de frère. Je suis fille unique. »
Élise sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine, puis raccrocha.
Son téléphone vibra de nouveau. Elle sentit son cœur s’emballer à la vue de la notification. Un nouveau message Airdrop. Hésitante, elle ouvrit le message : une photo de sa maison prise de l’extérieur, les lumières intérieures formant une lueur chaleureuse qui contrastait avec la froideur de la nuit.
Elle se précipita vers la fenêtre, scrutant l’obscurité. Rien.
Un autre message. Cette fois, une photo de sa porte d’entrée. "Son paillasson devant la porte était visible, tout comme l'ombre menaçante qui s'y dessinait. Les larmes montèrent aux yeux d’Élise. Elle avait l’impression d’être une proie, traquée dans son propre chez-soi.
Sans perdre de temps, elle composa le numéro de la police. Elle expliqua la situation, sa voix tremblante trahissant sa peur. Des agents furent dépêchés sur place, mais après une inspection minutieuse, aucun signe de l’intrus ne fut trouvé. Ils conseillèrent à Élise de passer la nuit ailleurs.
Les jours qui suivirent furent un cauchemar pour elle. Les messages Airdrop continuaient de lui parvenir, à des heures aléatoires, toujours plus inquiétants. Elle finit par éteindre son téléphone, essayant de retrouver une once de sérénité.
***
Une semaine plus tard, les amis d’Élise, inquiets de ne pas avoir de ses nouvelles, se rendirent chez elle. L’appartement était vide. Pas de signe de lutte, rien. Elle semblait s’être volatilisée.
La police découvrit son téléphone dans un tiroir. Il avait été soigneusement rangé, comme si Élise avait voulu le cacher. Sur l'écran, une ultime notification Airdrop se dévoilait, présentant une image d'Élise vue de dos. La légende, bien que simple, se révélait glaçante : « Enfin ensemble ».